Jeff a la voix tremblante: «Mes parents ne veulent pas de moi.» Pour la première fois, ils ne l'ont pas invité pour Thanksgiving, fête de famille incontournable aux Etats-Unis, parce qu'il n'a pas voté pour Donald Trump il y a trois semaines.
AFP
28.11.2024, 07:34
28.11.2024, 11:24
Gregoire Galley
Les parents de l'agent immobilier de 59 ans, qui préfère ne pas donner son patronyme de peur de ne plus jamais pouvoir voir sa famille, ne jurent que par le républicain. Marié à un homme, Jeff a des valeurs progressistes et croit en une société plus inclusive. «Trump a déchiré ma famille en deux.»
Son frère a coupé les ponts il y a cinq ans. «Il pense qu'on devrait condamner les homosexuels à mort.» Et ses parents lui ont demandé de ne pas faire le voyage entre Washington, où il habite, et la Floride, ce week-end. «Ils considèrent que je ne suis pas assez patriote parce que je ne soutiens pas Trump. Ils ne veulent pas me parler. C'est terrifiant.»
Chaque quatrième jeudi de novembre, les Américains se retrouvent dans le cocon familial à l'occasion de la sacro-sainte fête de Thanksgiving et partagent une traditionnelle dinde farcie.
«Une gifle»
Le cas de Jeff est loin d'être isolé. Deb Miedema, 50 ans, vit au Minnesota, dans le nord des Etats-Unis. Elle prépare la dinde depuis plus de 20 ans pour la grande réunion familiale mais cette année, elle a décidé d'annuler les festivités.
«Je ne peux pas m'imaginer préparer un repas pour 40 personnes dont la moitié est OK avec cette situation (...). Trump est un menteur, un criminel, quelqu'un d'horrible, et cela ne leur pose aucun problème, ils sont même d'accord avec lui!»
Le 5 novembre, elle a voté pour la démocrate Kamala Harris. La victoire de Donald Trump avec plus de 76 millions des voix, soit la moitié de l'électorat, lui fait toujours l'effet «d'une gifle».
«Cette année, on voit une vraie tension au sein des familles. La société américaine actuelle est divisée à tel point que beaucoup ont adopté l'état d'esprit: +tu es avec nous, ou tu es contre nous+», explique Laurie Kramer, professeur en psychologie à l'université Northeastern, à Boston.
«Dans la perception commune, les moments en famille doivent être joyeux, emplis d'amour, protecteurs. Alors quand la famille devient un endroit de tensions, on peut vite se sentir dépressif, seul, isolé», ajoute Laurie Kramer.
Amis, vraie famille
«C'est dur, très dur», lâche Ana, 31 ans. Pour Thanksgiving, la jeune femme employée par une université de Boston se rend en temps normal chez sa grand-mère à côté de Philadelphie, mais cette fois elle a renoncé.
«Je viens d'une grande famille italienne, avec 18 oncles et tantes. Tous mes oncles adorent Trump et je ne peux pas les écouter enchaîner des blagues sur ce qu'il se passe et les voir élever mes cousins avec ces idées.»
Ana n'est pas son vrai prénom: elle a demandé à utiliser un pseudonyme pour que sa grand-mère n'apprenne pas la vraie raison de son absence. «Je lui ai dit que j'étais malade.»
«Je me sens seule, très seule. C'est bizarre de refuser de participer à cette grande fête, qui est une tradition pour tout le monde. Mais pour moi, c'est beaucoup trop proche de l'élection», ajoute Ana, qui fêtera Thanksgiving avec des amis à New York.
Spencer Roberts, 35 ans, est dans la même situation. La dernière fois qu'il est rentré chez lui, le républicain passé à gauche a dit à ses parents qu'il pensait que «certaines de leurs idées étaient malveillantes». «Ca a créé énormément de tension entre nous dans la famille.»
Dans une Amérique à vif, plus de 71% des Américains tenteront d'éviter de parler politique lors de ces retrouvailles, selon un sondage réalisé par la chaîne américaine CBS.
«Il faut accepter que chacun est différent et trouver une manière d'accepter ces différences pour préserver ses relations familiales. Sinon, ce n'est bon ni pour les familles, ni pour les individus», souligne la professeure Laurie Kramer.